Le jour où je suis devenue un mec
Les hommes et les femmes ne sont pas nées égales. Je me contrefiche de notre potentiel théorique. À ce jour, nous ne sommes pas armées pareil dans l’arène du cul. Déjà on murît avec une longueur d’avance, on procrée en CDD, on gagne moins, même en intérim, nos ovules ont une date de péremption, nos sécrétions vaginales ne font pas de bébés. C’est comme ça qu’à la CAF de Dieu le père, ils ont calculé nos droits. Et puis, on jouit moins souvent, moins vite, on ignore moins facilement les sentiments quand y’a du cul. Enfin, on a passé des millénaires à les attendre, ces fils de bien, évidement que ça a impacté un gène ou deux. Non. Non. Ne te méprends pas. Nous ne sommes pas leurs égales.
Le Détail de trop
Il lorgnait sur leurs photos ; elles n’en sauraient jamais rien. Et ce n’était pas comme pour les femmes dans les magazines. Elles, elles étaient bien réelles. Elles s’étaient prises elles-mêmes en photo. Elles avaient posé leur téléphone sur une surface stable et elles l’avaient regardé en pensant comment elles seraient regardées. Elles serraient la poitrine, fixaient l’écran avec de grands yeux écarquillés, la tête fière en arrière, ou les lèvres légèrement entrouvertes. Elles avaient aussi pris le temps d’une introspection, allongées sur le lit, une jambe sur l’autre, ou les jambes écartées, peut-être une main sur le téléphone et une main sur le sexe, rédigeant une biographie qui leur conférait une certaine personnalité, des passions, des hobbies, peut-être même parfois un statut social. Elles avaient tapoté avec leurs doigts, dans la nuit d’une chambre, esseulées, quelques mots pour se dire. Ou alors elles les avaient tapotés suite à une rupture amoureuse, en larmes et en rage contre le monde. Peut-être même les avaient-elles écrits dans le dos d’un homme qu’elles songeaient tromper.
Cette mise en avant d’elles-mêmes les rendait attendrissantes, vulnérables, humaines, violentes, vicieuses, mais aussi inventait des espaces, des lieux, des temporalités, qui faisaient voyager Louis. Et cela lui plaisait beaucoup de voyager sans avoir à regarder par-delà sa fenêtre. Il était heureux de pouvoir caresser immobile, à chaque instant, l’espoir d’intéresser une femme qui existait et qu’il avait aussi inventée. Et puis, il n’aurait pas grand-chose à faire. Il pourrait tout à fait être lui-même ou pas du tout. Elle lui parlerait derrière un écran. Il pourrait tout se permettre. Il n’aurait pas à rougir. Il n’aurait pas à baisser la tête ou au contraire à la regarder droit dans les yeux.
D’un puzzle à l’autre
Alors, je commandai ce tableau en puzzle et je me concentrai sur sa reconstitution. Une fois, puis une deuxième, puis… L’ouvrage restructurait l’espace et le rétrécissait. J’avais d’abord l’impression d’être chez Alex. De retrouver ce huis-clos où ma personne s’était diluée. Un huis-clos où je m’étais éloignée de moi-même, où j’étais aimée et j’avais aimé. Puis, au fur et à mesure que je recommençais le puzzle, je m’éloignais de chez Alex, et je retrouvais quelqu’un que j’ai bien connu : la petite fille en moi, l’émerveillée, une fille de neuf ans, qui redécouvrait encore et encore, une expression extraordinaire. Réussir cette œuvre me restituait et m’éloignait de la résolution d’un problème insoluble. Parfois je m’endormais, des pièces du puzzle restaient collées à mes joues, et je poursuivais l’œuvre dans mes rêves : je rêvais de leur reconstitution. En rentrant du travail, je retrouvais ce puzzle comme je retrouvais mon chat. Heureuse et confiante que son amour était inconditionnel, et qu’il ne pouvait pas me décevoir.
La Dominatrice de Cergy
Je hoche machinalement la tête. Je suis Harry Potter en face de Hagrid Rubeus. J’ai de la magie dans les méninges. Elle est grande et costaude. On se pose. Elle commande pour moi une pinte cassis et pour elle un Coca Zéro qu’elle boit d’une traite. Je m’enfile un whiskey sec. On s’échange des banalités, des anecdotes, pour très vite rentrer dans le hall sans caractère d’une tour de trente étages. Des petites bandes de mecs fument du chichon et nous toisent. L’un d’entre eux souffle : Petite tapette. Aïcha, imperturbable, grande, grosse, les seins comme une armée prête à me défendre, leur dit de fermer leur gueule. J’ai chaud aux fesses alors que son regard les aligne les uns après les autres comme des bouts de viande sur une brochette. Les gars se contentent de rire mais à voix basse. Les rires s’éloignent. Puis, on ne les entend plus du tout. On monte les escaliers. Quatre à quatre. La porte refermée, elle ne me donne pas le temps de penser. Des claques valsent dans tous les sens. Je me déshabille, elle me déshabille, je la déshabille, elle se déshabille. Elle m’attrape par les hanches, me coince la tête entre les nibards. Ma tête disparaît, recevant des claques d’un sein puis de l’autre.
Tu aimes ça, salope, hein t’aimes ça, que je te baise.
Louise et Leila
Mario envoie un texto à Leila. Je lui suggère qu’on fasse l’amour pour briser la glace avant son arrivée.
L’initiative fonctionne bien. Mario se déshabille dans la hâte. Je baisse juste la culotte. Je le regarde se déshabiller, soulagée qu’on le fasse tout en constatant son inéluctable prévisibilité. Je m’agenouille à quatre pattes sur le lit pour qu’il me prenne sans me voir et que je n’aie pas à l’embrasser. Il enfile rapidement un préservatif, me prend, gémit tout seul, insensible à mon existence, à ma réalité intérieure ou à la sienne. Je ne sens rien, nulle part. Même pas de la douleur, même pas du dégoût, même pas de l’ennui. Il me chevauche et je m’endors comme devant un mauvais film porno. Très excité, il se retire. Il ne veut pas jouir. Il faut se préserver pour le reste de la nuit, dit-il. On se rhabille comme on s’est déshabillé, avec hâte et sans poésie, et on attend désormais Leila dans le salon.
Le Forceur d’Alésia
Il a pris mon dégoût pour du désir. Mon non pour un oui.
Je le repousse avec véhémence, prétextant – au cas où un simple refus n’aurait pas été suffisant – que je suis au bord d’un malaise vagal imminent. Cela ne le décourage pas. Il m’encercle désormais de ses tentacules et me susurre des contradictions :
On peut prendre le temps que tu veux. Je suis patient tu sais…
L’Autre
La nuit, les hommes regardent un match et Zahia et moi, on parle sur le canapé. On se fait des câlins, des caresses dans les cheveux. On se raconte nos vies.
Un soir, elle s’allonge sur mes cuisses et me raconte qu’elle n’a pas vécu son enfance, qu’on l’a tout de suite introduite au monde, que des jeux, elle ne connaît rien, elle s’y était mise plus tard, beaucoup plus tard, à trente peut-être. Elle aime la transgression et la seule chose qui lui soit venue à l’esprit, c’est le corps.
Toucher, tu comprends, toucher quand c’est inconvenable, et toujours un autre corps, sinon à force, on va croire que je veux me faire des amis. Et les amis, je m’en fous, tu comprends. Je m’en fous car les amis, ça n’existe pas et ça n’a jamais existé.
Infidèle
Chaque matin, Antoine entre dans la cuisine, embrasse ma joue, récite à notre fille Elsa un poème ou une table de multiplication qu’elle doit apprendre par cœur pour l’école. Il exhume un parfum boisé, sa bouche a le goût du miel, sa chemise ample en lin dévoile ses petits poils torsadés, ses cheveux bouclés tombent sur ses yeux de chat, ses oculaires malicieux suivent les lèvres déterminées de notre fille. Je le regarde, l’admire, apprécie le tableau d’un homme que j’ai aimé, d’une enfant que j’adore, mais dans mon cœur, dans mon sexe, il n’y a plus rien. Le café est un leurre, il ne me réchauffe plus le cœur. La caresse est celle d’une terre chaude qui recouvre un cadavre.
L’Attente
Lise sourit. Rose lui rend son sourire et poursuit :
Oh avant, j’étais comme vous. Moi aussi j’attendais. J’attendais tout le temps. Un jour, j’ai attendu une femme toute une journée. Nous avions fait l’amour la veille, et c’est l’instant d’après l’amour que j’ai commencé à l’attendre. Elle n’avait pas encore quitté mon lit et pourtant, je la sentais déjà loin, déjà partie, déjà perdue. Je l’ai attendue pendant des jours. Elle n’est pas revenue.
Une conversation
La plupart du temps, juste après que j’ai dit que j’ai déjà quelqu’un, je dis aussi : Je ne fais pas l’amour, jamais. Je ne fais pas l’amour. Je fais toutes les autres choses. Je me fais belle, je fais la conversation, je tiens compagnie, je dîne, déjeune, bois et fume. Mais faire l’amour, non.
Jamais.
Je ne fais pas l’amour.
Ce qui se passe pendant, c’est tout, absolument tout, tout ce qui peut se passer, sauf l’acte sexuel. Quand je dis que j’ai déjà quelqu’un, la plupart du temps, ce n’est pas trop gênant. Ça continue à dire. À parler. À espérer. Mais c’est quand je dis que je ne fais pas l’amour ; en particulier quand je dis Je fais tout mais je ne fais pas l’amour qu’on me répond Tu ne fais donc rien ? Alors je dis qu’ils peuvent essayer avec moi s’ils le veulent, et s’ils ne le veulent pas, ce n’est pas grave. Et parfois, ils me répondent : Essayer quoi ?
Un mariage presque parfait
Qu’est-ce qui était vrai entre nous et qu’est-ce qui était faux ? Notre relation était-elle fausse ? Finalement, n’est-ce pas le cas de toutes les relations ? Ne sommes-nous pas tous, à des degrés différents, des artisans du déni ? Ne choisissons-nous pas tous d’ignorer les signes avant-coureurs, de fermer les yeux sur ce qui ne fonctionne pas dans une relation, de persister dans l’illusion d’un amour parfait, d’une relation parfaite, d’un partenaire idéal, d’un amour éternel ? Ne pensons-nous pas tous quelque part qu’un simple swipe sur une application de rencontre suffirait peut-être à réveiller Cupidon ? Nous savons pourtant pertinemment au préalable que l’amour ne se trouve pas dans la superficialité de quelques photos retouchées, et pourtant, nous le cherchons encore et encore dans cette pléthore de mensonges….
L’Amour avec un grand A
Il fait l’amour comme il ne parle pas. Beaucoup. J’aime ses mains, j’aime sa peau, j’aime son odeur, j’aime son sexe, j’aime la manière dont il entre et dont il sort. J’aime le début, j’aime le milieu, j’aime la fin. J’aime la façon dont son sexe au repos très vite s’endurcit. J’aime aussi, la plupart du temps, son silence. J’aime comment il ne donne que peu d’importance à mon intelligence et à mes idées. Quand le sexe est fini, je pense établir un langage. Mais quand j’ouvre la bouche, de nouveau Romain me réduit au silence et m’ôte les vêtements. Je me défoule sur le recueil de nouvelles que j’écris. Puisqu’il ne dit rien, je fais parler des personnages, je questionne des étrangers, j’invente des dialogues. Dans mes nouvelles, les personnages ont des conversations et dans mes nouvelles, je ne parle pas encore de Romain.