EXTRAITS
Depuis le soir où elle avait poussé cette porte, elle avait longuement lu le blog qui mentionnait L’Ailleurs, et découvert ce monde, sous la plume de Lily. La maxime de ce blog avait tout de suite attiré son attention : « Demander l’exclusivité est une folie, l’accorder un péché. ».
Elle avait découvert le lieu, vu quelques photos, et toutes ces alcôves l’enchantaient, la fascinaient. Et puis, elle avait appris qu’on pouvait y aller et se contenter… de regarder. Ne… rien faire. Juste regarder. Regarder n’est pas tromper, là, y a rien à dire !
Et puis, même la pleine lune semblait lui envoyer un signe et elle n’avait jamais su dire non à la lune…
Tout en se disant qu’on ne la laisserait sûrement pas entrer, qu’il fallait probablement connaître un code ou quelqu’un à l’intérieur, elle choisit sa robe la plus sexy, la plus fendue, celle qu’elle n’avait plus mise depuis des mois, peut-être même des années.
Elle réfléchit longtemps à son maquillage, comme une adolescente.
Et un verre de (double) vodka pour ne pas hésiter.
Regarder n’est pas tromper. Et d’ailleurs, elle raconterait tout à Caleb, dès le lendemain matin. Et d’ailleurs, ils en rigoleraient.
Elle avait bien le droit de se payer une soirée de folie, après la fatigue de son dernier contrat et les bronchites chroniques du petit.
Regarder n’est pas tromper. Et puis on lui refuserait sûrement l’accès, elle n’aurait bien évidemment pas le code secret – car il y a toujours un code secret dans ces endroits-là, non ? Un « Sésame ouvre-toi » … Le videur aux lunettes noires lui barrerait le passage et commencerait par dire « Les sanglots longs » et elle répondrait « des violons de l’automne », bien entendu, comme elle a appris à l’école, mais ce ne serait pas la bonne réponse, et les lunettes noires deviendraient menaçantes, et son cœur se mettrait à battre bien plus vite, et elle remonterait les marches en tremblant, et elle aurait tellement honte d’elle-même qu’elle n’en dirait jamais rien à personne.
En revanche, si on la laisse passer, elle se promet de bien rigoler et de tout raconter à Caleb. Et d’en rire avec lui.
Elle met la main sur la poignée de la porte en fer…
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– Alors, tu ne m’as toujours pas répondu ; est-ce que toi, tu pourrais ?
– De quoi tu parles, chéri ?
– Tu sais très bien de quoi je parle… Est-ce que toi, tu pourrais me regarder m’envoyer en l’air avec une autre ?
Juliette se doutait bien que Caleb allait profiter d’un trajet en voiture pour ouvrir le délicat sujet. Il faisait toujours ça ; en voiture, pas moyen de s’échapper, de couper court, de s’isoler dans la salle de bain. On est obligé d’aller jusqu’au bout de la discussion…
L’autre avantage est l’absence de contact visuel ; on peut ainsi communiquer de façon un peu plus détachée, maîtriser un peu mieux ses émotions, éviter les escalades. Et les dégringolades.
Juliette prit une rapide inspiration et répondit :
– J’y ai réfléchi. Et puisque je sais que nous nous aimons profondément, et que jamais, entre nous, il n’y aura de coups bas, et que nous sommes ensemble pour la vie… et puisque je sais que… rien n’est plus capricieux et changeant que le désir… oui, je pourrais. Je pourrais, je crois, te regarder faire l’amour à une autre. Je pourrais même y prendre plaisir. C’est même probable.
– Tu es sérieuse ?
– Je suis sérieuse.
– Eh bien moi, je ne pourrais pas. En aucun cas. J’y ai beaucoup pensé aussi, ça me blesserait et les yeux et le cœur, ça me ferait mal jusqu’au plus profond de moi. J’aurais envie de tout détruire.
– Oui, je sais, et crois-moi, j’aurais aimé donner la même réponse que la tienne, mais nous nous sommes toujours promis la sincérité totale, n’est-ce pas ?
– C’est vrai.
Ils continuent un peu à rouler en silence. Elle voit bien, du coin de l’œil, que Caleb est pensif. Au bout d’un moment, il reprend la parole :
– Tu sais, princesse, je t’aime… Et je tiens à toi plus que tout au monde… Mais… si tu veux… si tu sens que tu as besoin de faire des expériences de ton côté… sache que je ne t’en empêche pas.
– Tu es sérieux ?
– Oui, je suis sérieux. Mais la seule chose que je te demande, c’est de ne pas m’en parler. Jamais. Je ne veux rien savoir.
– Je… je ne…
– Ne dis rien.
Il se tourne vers elle et lui sourit.
Et ils continuent à rouler en silence.
Et Juliette se rend compte à quel point elle aime Caleb, plus que tout, au-delà de tout. Seul lui aurait pu la comprendre, alors qu’elle n’avait presque rien dit. Seul lui aurait pu l’accepter. Elle le regarde. Il est si beau de profil. Elle a envie de lui. Elle a envie de lui dire d’arrêter la voiture et de la prendre, là, au bord de la route. Mais elle a peur qu’il la prenne pour une obsédée. Ou peut-être même pour une perverse. Alors elle se tait.
Et ils continuent à rouler en silence.
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– Vous n’êtes pas d’accord ? insiste le lourdaud.
Elle le regarde, un peu paumée : « Si, si, sûrement ! »
Et c’est son lot sur cette terre de toujours tomber sur des cons… ils ont un radar pour la repérer, c’est ainsi… Certains n’attirent que les torturés, les emmerdeurs ou les fous… et d’autres n’attirent que les ennuyeux. C’était le cas de Juliette, depuis toujours. « Je suis un aimant à ce qui se fait de pire ! S’il y a un con dans la soirée, il est pour moi ».
Cela dit, ce con-là avait un peu raison ; en fin de compte, jurer fidélité… quelle curieuse illusion, quelle farce ! Après tout, comment deux adultes sensés peuvent-ils se promettre de ne jamais se tromper ?! De ne jamais désaimer ? Ou pire encore, de ne jamais désirer un autre ? Comment peut-on exiger – ou même souhaiter – que cet être qu’on aime tant soit si pauvre en… en amour tout bêtement !
Bien sûr qu’il existe des couples fidèles et jusqu’au bout. Bien sûr que chez les mammifères, la femme cherche la sécurité du nid et l’homme à répandre sa semence dans tous les coins, histoire d’assurer sa descendance, la survie de sa race. Seulement, et entre-temps, des milliers d’êtres désirables traversent vos vies et provoquent votre envie… furieusement. Les fantasmes ont pour vocation d’être réalisés… et l’amour qu’on a pour un seul homme vous donne envie de tous les autres. Les sondages et les magazines sont truffés de sexe et de désir. Et de Brad Pitt. Histoire de faire fantasmer les femmes. Prenez une de ces femmes ou mieux, prenez-les toutes – toutes ou la plupart vous diront : « Si… si j’ai Brad Pitt devant moi, eh bah… ».
Eh bah, oui !
– Jurez-vous d’être toujours infidèle ? reprend le lourdaud.
Elle sourit gentiment et tend son verre… Il tinte joliment.
– Oui, je le jure !
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– Je ne sais pas, trente centimètres ?
– Donc tant que le mec est au-delà de trente centimètres, aucun problème ! Il peut me faire une déclaration d’amour, au-delà de trente centimètres, Sam n’en a rien à fiche. En dessous de trente, les regards noirs commencent… Puis, en dessous de… vingt-cinq, disons, il devient tout rouge et tu vois ses narines qui font comme ça, de plus en plus vite…
Et Irène mima des narines de buffle à l’échauffement – avec un regard noir. Juliette rit et but une nouvelle gorgée.
– À vingt centimètres, il n’a plus aucun contrôle. Il n’écoute plus ce qu’on lui dit, et tourne autour de nous, menaçant. Après, j’ai droit à sa mauvaise humeur pendant toute une semaine.
Puis Irène se tut.
– Et… en dessous de vingt ?
– Ça ne s’est jamais passé, ma chérie. Si ça c’était passé, je crois que je ne serais plus là devant toi…
– Six pieds sous terre ? Carrément ?
– Ou alors à ramener des oranges à Sam, dans sa prison.
– Cela dit, c’est vrai que deux visages à moins de vingt centimètres, c’est vraiment proche… Regarde, ça fait…
Et Juliette approche son visage de celui d’Irène. Irène aussi avance un peu le sien.
– Encore un peu.
– Oui, là je crois que c’est bon. Voilà. Ça, ça fait vingt centimètres.
– Bah oui, c’est vrai que c’est proche.
– T’es vraiment belle, tu sais ?
– Toi aussi, ma chérie…
– Et ça, ça fait quinze centimètres…
– C’est fou, c’est vraiment pas grand-chose, quinze centimètres…
– Dix…
– Ça fait des années qu’on s’est pas roulé une pelle…
– On ne boit plus assez, peut-être !
Elles se redressent.
– Hm… Ça fait du bien, le rosé…
– Les bulles… ce sont les bulles qui font du bien. Tu débouches la deuxième ?