DANS LES COULISSES
NOTE DE L’AUTRICE-TRADUCTRICE :
Je n’ai jamais envisagé d’écrire un roman. Puis un beau jour, mes jours n’étaient plus si beaux : coincée à la maison à cause d’une pandémie mondiale, à court de sujets de conversation avec maman, mes chats et chien n’ayant plus la patience de jouer avec moi. Entre-temps, mon ami Youssef inaugurait une maison d’édition flambant neuve et se plaignait, non de la crise économique ou de devoir faire le lancement en ligne suite aux mesures sanitaires, mais de ne pas avoir assez de bons manuscrits à publier. Alors je me suis dit : « Pourquoi pas lui écrire un roman ? » Pour ne pas passer pour une mégalomane, je tiens à préciser que je m’étais déjà aventurée dans le monde de l’écriture : un article par-ci, une nouvelle par-là… et au vu des réactions enthousiastes qu’ils avaient suscités, j’étais assez confiante d’avoir une belle plume. Et je me suis lancée. Je ne sais plus comment j’ai eu l’idée de Sama – Meilleur Roman Policier du monde, je me rappelle juste avoir commencé avec la fin en tête. Avec un peu de chance, le reste viendrait naturellement, mes deux seules exigences étant : écrire quelque chose de sombre, mais en même temps léger (et là mon sens de l’humour noir et froid, « à l’anglaise », me serait enfin utile), et créer une protagoniste blasée et saugrenue (des « qualités » que j’ai tâché de cultiver le long de ma vie adulte). J’ai commencé à écrire, et je n’ai plus arrêté. Que de fois je me suis réveillée à l’aube, au son de paragraphes scandés dans ma tête tels des chants antiques, que je m’affairais à coucher sur papier (à taper sur mon téléphone portable, dans l’obscurité). Je disais en plaisantant à Youssef (que j’avais eu la courtoisie d’avertir à l’avance que j’écrivais un roman sur mesure rien que pour lui) que quelqu’un écrivait ce roman à travers moi, car j’étais complètement submergée par les mots, sans aucun contrôle sur ce qui était écrit ou sur la direction que prenaient les choses. Poussée par les encouragements zélés de mon amie (et cheerleader personnelle) Roubina et par les conseils avisés de Youssef, j’ai écrit jour et nuit pendant trois semaines. Et puis c’était fini. Je n’ai même pas relu ce que j’avais écrit (ce qui n’est pas très professionnel, je sais. Mais je l’ai fait par insécurité, pas par orgueil, si cela peut améliorer mon image).
Ensuite, ce fut au tour de la version française. Étant à la base de culture francophone, je ne pouvais pas laisser quelqu’un d’autre traduire mon travail, même si ma relation avec ma "langue maternelle" a été tumultueuse au fil des ans. J’ai tout de suite compris qu’une simple traduction ne fonctionnerait pas, parce que je pense et plaisante différemment en français, et j’ai donc opté pour une adaptation. Le processus s’est avéré moins pénible que prévu ; comme le français fait ressortir mon côté pragmatique, il correspondait bien à la personnalité réservée et peu expressive de Rémi.
Une fois le travail terminé, je ne pouvais qu’espérer avoir fait quelque chose de divertissant. (Et pour cela, j’avais un arsenal d’incidents incongrus dans lesquels puiser personnellement, comme cette fois où je me suis dragué dans un bar, avant de réaliser que j’étais en train d’engager la conversation avec mon reflet dans le miroir.) J’ai également prié pour que mon histoire ne soit pas trop prévisible, espérant que les heures interminables passées à regarder des séries policières au fil des ans avaient porté leurs fruits. Avec le recul, je pense qu’en fin de compte, même sans m’en rendre compte, je voulais juste prouver, à moi-même d’abord, qu’il y a vraiment quelqu’un de spécial pour tout le monde, même pour les personnes psychotiques et émotionnellement retardées comme Remi.
Quand Eukalypto a commencé à collaborer avec Patricia comme consultante en édition, traductrice et éditrice, j’avais déjà eu l’occasion de lire son travail, et je n’avais aucun doute sur ses qualités d’autrice. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’envoie les premières pages d’un roman qu’elle avait commencé à écrire. Immédiatement, je suis tombé sous le charme de Remi, protagoniste principale et narratrice unique et inoubliable de ce “meurtre” mystérieux et qui ne ressemble à aucun autre.
Par certains aspects, “Sama” est l’un des livres les moins conventionnels que j’ai eu l’occasion de lire, entièrement dicté par sa narratrice, Remi, qui se moque des genres, de la logique, et même de la vérité. Narratrice non-fiable, elle nous fascine par son mépris pour tout ce qui ne tourne pas autour d’elle ou ne lui est pas directement destiné, et l’on ne peut s’empêcher de se laisser entraîner dans son monde intérieur.
Un autre aspect remarquable de ce roman est son caractère unique : “Sama” est, à notre connaissance, le premier roman ouvertement lesbien écrit par une femme arabe. Bien que l’aspect LGBT ne constitue pas l’intrigue principale, nous sommes fiers, à Eukalypto, d’être un lieu où les tabous peuvent être remis en question et où chaque minorité a la possibilité de se faire entendre.
À PROPOS DE LA COUVERTURE :
L'inspiration pour la couverture de Sama est venue au rédacteur en chef alors qu'il regardait le clip officiel des paroles de “Paint It Black” des Rolling Stones. Lui et l'autrice avaient déjà discuté de l'idée de s'orienter vers l'esthétique globale de l'affiche de Kill Bill de Tarantino, mais avec moins de violence, et surtout sans sang rouge. La façon dont les taches étaient présentées dans ce clip correspondait exactement à ce que nous recherchions. Nous avons donc partagé le clip avec la graphiste et avons choisi les couleurs avec elle – l'autrice était extrêmement précis sur les nuances exactes de bleu et de jaune !